Chroniques d’un Autiste Hautement Fonctionnel

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Chroniques d’un Autiste Hautement Fonctionnel

Solitude Autiste

Chroniques d’un Autiste Hautement Fonctionnel : Comment survivre dans un monde qui parle une langue étrangère

Je suis un animal de laboratoire mal rangé, un type qu’on appelle « autiste à haut fonctionnement », ce qui sonne comme un appareil électroménager qui aurait des options premium : séchage rapide, nettoyage automatique et capacité à supporter des dîners de famille sans balancer les plats. Spoiler : non. La seule chose qui fonctionne à haut régime chez moi, c’est le flot continu de pensées obsessionnelles et le radar émotionnel cassé qui me fait confondre sympathie et condescendance depuis 1987.

Je me lève ce matin dans cette maison dont les murs sont décorés avec la rigueur esthétique d’un dossier Excel : tout est classé, aligné, catalogué. Du moins, ce qui m’appartient… Les objets ont leur place, les rituels leur ordre et la cafetière sa mission sacrée. Le monde extérieur, lui, reste ce vaste territoire hostile où règnent les implicites, les sous-entendus et les interactions sociales plus alambiquées qu’un traité de théologie médiévale.

L’autisme à haut fonctionnement : mode d’emploi pour neurotypiques

On me colle l’étiquette « haut fonctionnement » comme on appose une étiquette « fragile » sur un colis qu’on s’apprête à jeter dans la soute d’un avion Ryanair. Ça rassure les autres. Ça fait dire aux collègues : « Oh, mais ça ne se voit pas ! » Ce qui revient à commenter la gueule d’un manchot en disant : « Ah bon, t’as qu’un bras ? On dirait pas ! »

Ce haut fonctionnement, c’est surtout la capacité à mimer le comportement des gens dits normaux sans réellement en comprendre les règles. C’est comme jouer aux échecs avec des pièces invisibles et un adversaire qui change les règles toutes les trois minutes en te reprochant de ne pas suivre. Et lorsque, par miracle, je réussis à aligner les bonnes expressions faciales et les mots de circonstance, on me félicite comme un labrador qui vient de rapporter la baballe.

Risques et périls du quotidien : petit guide de survie pour autiste mondain

Le plus grand danger pour nous autres, c’est l’autre. Les neurotypiques. Ils pullulent dans les open spaces, les soirées d’anniversaire et les files d’attente à la poste. Ils fonctionnent à base de codes sociaux implicites, de blagues qu’il faut comprendre au 3e degré et de règles de politesse qui changent selon l’humidité de l’air et la qualité du vin servi.

Je vis constamment en territoire ennemi, sans carte ni traducteur. Une simple question comme « Ça va ? », qui pour moi appelle un diagnostic médical détaillé et honnête, attend en réalité la réponse « Oui et toi ? ». Si je réponds sincèrement « Pas vraiment, j’ai passé la nuit à refaire la cartographie des stations de métro désaffectées et je m’inquiète pour la stabilité des relations sino-russes », on me regarde comme si je venais de citer Schopenhauer dans une réunion Tupperware.

La précarité relationnelle et le syndrome du pigeon mort

Le plus grand risque, c’est l’isolement. Pas l’isolement volontaire du moine zen ou du misanthrope stylé, non. Celui du type qu’on oublie d’inviter, dont on ne prend pas les nouvelles parce qu’il est « un peu spécial ». Et l’ironie, c’est que l’autiste à haut fonctionnement peut avoir l’air tellement fonctionnel qu’on oublie qu’il vit en apnée sociale.

Je suis ce genre de mec qui envoie un message à quelqu’un et qui, après trois jours sans réponse, commence à envisager l’éventualité que la personne soit morte ou partie vivre dans un monastère tibétain sans Wi-Fi. On développe ce que j’appelle le syndrome du pigeon mort : on balance des messages dans le vide et on attend de voir si ça revient. Spoiler bis : ça ne revient pas souvent.

Les prédateurs sociaux et autres manipulateurs affectifs

Les autistes sont aussi des proies idéales pour les personnalités toxiques. Parce qu’on fonctionne à la lettre, parce qu’on croit ce qu’on nous dit et qu’on pense que la parole donnée a encore une valeur en 2025. J’ai passé des années à me faire dépouiller émotionnellement, professionnellement et même financièrement par des gens qui avaient repéré mon absence de second degré et mon incapacité à détecter les intentions cachées.

J’ai appris à mes dépens qu’un sourire n’est pas forcément bienveillant, qu’un compliment n’est pas toujours sincère et qu’une invitation à boire un verre peut aussi être le début d’un plan pour te refourguer des encyclopédies médicales des années 1970.

La sexualité version Turing : codes et bugs affectifs

Côté relations amoureuses, c’est un peu comme tenter de jouer à Twister en lisant les règles en araméen ancien. Les signaux sont flous, les intentions encore plus, et les rituels de séduction me semblent aussi étranges que les danses de parade du Kakapo néo-zélandais.

Quand j’aime quelqu’un, c’est obsessionnel, entier, dévorant. Ce qui, dans un monde où on valorise le flirt léger et les liaisons sans conséquences, fait de moi un dinosaure affectif condamné à l’extinction. J’ai souvent confondu gentillesse et intérêt amoureux, complicité et amour naissant. Résultat : des dizaines de malentendus émotionnels et de râteaux légendaires qui font encore trembler les trottoirs de la ville de Jumet dont je connais chaque pavé depuis le temps que je l’arpente.

Autodérision et cynisme comme armes de construction massive

Alors je transforme tout ça en humour noir. En cynisme élégant et en références à Cioran ou Bukowski pour masquer la gêne et l’incompréhension. Je cite les stoïciens pour me convaincre que ce qui dépend de moi, c’est l’ordre de mes Post-it et la température de mon thé. Et pour le reste, que le chaos vienne.

Parce qu’en vérité, dans ce monde où tout le monde joue à cache-cache derrière des sourires automatiques, je préfère encore être ce type bizarre qui connaît par cœur la liste des volcans actifs du Pacifique et qui refuse obstinément d’embrasser la norme.

Je suis un autiste à haut fonctionnement. Pas un génie incompris ni un freak de foire. Juste un type qui parle une autre langue, dont le mode d’emploi a été imprimé à l’envers et qui tente, chaque jour, de déchiffrer les règles de ce jeu absurde qu’on appelle la vie sociale.

Et pour le moment, je m’en sors pas trop mal. La preuve : vous venez de lire cet article. Je m’en sors pas si bien non plus. La preuve: cette image qui évoque mon autisme. Ah! Cette zone grise…

Par Sébastien, autiste, journaliste et survivant de l’apéro d’entreprise


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Sepien, Sepienne (La #scléroseenplaques ou #multiplesclerosis (SEP ou MS) est une maladie neurologique invalidante caractérisée par la destruction progressive de l'enveloppe protectrice des nerfs du cerveau et de la moelle épinière)